LE PASSANT DE L’ATHOS (extraits)
1
un mot cherche mon cœur moi autour de lui
je cherche comment s’accroche à son present
un peu de cette chose qui flotte ici
partout devastation ruines et cependant
que sa belle image est mordue par le temps
saint Jean trempe sa plume dans la lumière
d’un geste egal mais le jet lumineux vise
on ne sait quelle partie du corps voici
des mouches elles vont butiner sa poussière
puis s’envolent vers le cul-de-four où Dieu
a tellement noirci qu’il est negatif
l’aigle et Jean même aureole et plus qu’une aile
au lion de Marc l’œil un petit lac de larmes
Luc le visage mange par le moisi
est devenu un nègre à la barbe blanche
plus de Mathieu juste un trou dans le mortier
et quelques os de brique rose un frelon
tire mon regard vers là-haut la coupole
au premier cercle les restes d’une epaule
dans le second huit anges chacun six ailes
deux vers le bas deux vers le haut deux ouvertes
le tout d’une sensualite extrême
chaque ange paraissant par deux fois pourvu
de la zone bien fendue que les humaines
n’ont qu’une fois et l’amour serait à faire
dans un embrassement du haut et du bas
circulaire et sans fin une roue toujours
en mouvement le même frelon descend
vers la coulee de fiente fraîche mon œil
enflamme pourtant n’ose pas s’en servir
mais je confonds peut-être fiente et fiel
et me voilà au milieu d’aujourd’hui
le regard soudain casse par le soleil
le vide et la peur de l’escalier pourri
les yeux tâtent l’air sur leur gauche et surgit
la brusque surprise
le Blanc le Blanc le Blanc
pousse au fond du ciel son erection de craie
et par-dessus vie mort et realite
plante un formidable NON à leurs raisons
2
aucun corps là-haut chez les anges à six ailes
leur sensualite s’accroît de ce rien
mais s’envoyer en l’air pour une aureole
n’est-il pas de bonne guerre virtuelle
moi qui tous ces jours-ci n’ai pas plus de sexe
qu’un petit Jesus j’ecoute au loin des mots
grecs bulles de son pareilles à ces mystères
qui roulent dans l’espace et font dans l’oreille
des pets il y a davantage de mouches
qu’hier mais les pigeons n’ont rien ajoute
je suis venu voir le Blanc
il est coiffe
d’une pyramide laiteuse le seul
nuage en vue dans tout le ciel coton qui
couvre ainsi la violence de la duree
3
l’image et le mot sont-ils lies ou bien
l’un toujours après l’autre pour que le voir
ou le dire l’emporte chacun son tour
ce que les yeux ont vu là-bas être vu
ne lui suffit pas cela s’erige et rôde
et rue contre le mouvement du poème
mais qu’est-ce qu’un elan mineral et blanc
un silence vertical un temps de pierre
4
l’arracher de mes yeux en faire autre chose
me disaisje en montant l’escalier de marbre
qui donne sur le vide ensuite je marche
sur la crête d’un mur puis sur de vieilles planches
rongees par la pluie le soleil cette fois
je sais où il se trouve et il est bien là
mais tout gris dans la buee bleue le bois craque
sous mon poids ou le torrent de lumière
5
assis dans la fraîcheur en ruine je vois
la plume de Jean prendre l’air comme fait
la langue pas la mienne qui tourne en vain
un bout de souffle et n’en tire pas de forme
un bout de plâtre tombe de la coupole
et cree de la poussière avec ce qui fut
une feuille à ma main semblable et pourquoi
suis-je trouble par l’intacte l’implacable
jeunesse des quatre colonnes de marbre
leur peau si transparente dans le soleil
leur galbe insolent de sirènes de pierre
6
très ordinaire un pic ce matin flanque
d’une double pente qui sert d’horizon
un saint decolore dans sa niche et moi
regardons le ciel un peu de vent souligne
le silence à gauche un bâtiment ruine
le feu a cuit les pierres tordu le fer
la cendre qu’on voit serait celle des livres
7
les mots se passeraient bien des choses comme
les doigts des morts n’ont pas besoin d’être udles
le tonnerre au loin remue un tas de caisses
vides les quatre ifs de la fontaine indiquent
la direcdon de l’immobile la terre
tourne sans faire crier l’air juste un rond
remous bleu dans l’epaisseur d’on ne sait quoi
54
l’apprend theologien m’a decouvert
caves et sous-sol des centaines de mètres
croise des tonneaux grands comme des cabanes
vu la machine enorme qui fut moulin
poutres brûlees pendant à des roues de fer
à des tiges tordues des palans brises
tout cela sous la bibliothèque incendiee
marche dans les couloirs où passa le feu
de vrais fours aux murs rouge et blanc bris de brique
où chaque pas bat briquet sur les eclats
plus de flammes la peau des pierres est en cendres
grande pièce meublee de tas de gravats
une autre de tas de ferrailles pics pioches
marteaux leviers une autre de mysterieux
tambours à manivelle et piles de plats
une autre de centaines de pieds en bois
autrefois je cassais dit l’etudiant
en arrêt devant une boule de verre
moi je ramasse des objets et les classe
d’un côte flacons bocaux encriers bouteilles
bonbonnes la plupart en verre souffle
de l’autre outils de bois tabourets bancs râpes
à laver le linge et cela qu’en Aubrac
on appelait ” maluque ” et qui est massif
marteau de bois le père Paul reunit
toutes les icônes et toutes les images
portraits du tsar de la tsarine chromos
lithographies de Moscou et de Paris
d’Istanbul de Saint-Petersbourg de Londres
une ville en flammes est posee là-dessus
et c’est à ma surprise non pas Moscou
se suicidant pour chasser Napoleon
mais la fameuse gravure en noir et rouge
où l’on voit flamber dans Paris la vengeance
qu’aux monuments boutèrent les petroleuses
qui diable apporta jusqu’ici cette image
un des crânes de l’osteophylakion
a-t-il contenu la pensee communarde
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dans le ciel buee blanche au levant buee
rose au couchant Venus marque le plus haut
la bouche d’ombre a mange saint Jean et moi
chasse par le noir de la chapelle grecque
je suis seul sur la passerelle de planches
j’attends la fin et l’autre commencement
le Blanc est gris un fantôme ourle d’ecume
grand silence partout puis un grillon gratte
sa crecelle pas de pensee la presence
du present tout à coup un roulis d’averse
dans la proche montagne un torrent d’air
qui n’est plus qu’un souffle en arrivant ici
trois etoiles pointent je leur prête des noms
elles sont en fait le timon du chariot
une lueur grandit derrière l’eglise
mon visage attend son flot avec ferveur
ô qu’il baigne dans mes yeux la vie passante
et que cette lune soit la renversante
qui fera venir le corps au bout du nom
mille etoiles à present et le bleu noircit
on dirait que le plus profond fait surface
et met sur elle ce qu’il gardait dessous
la lune est cachee derrière une coupole
la corniche en fait rejaillir la lumière
comme fait une pierre sous un jet d’eau
l’aplat des planches est un velours de chaleur
je m’allonge dessus la nuque posee
sur un morceau de marbre et vient le sommeil
quand la pleine lune perce mes paupières
elle est au milieu du ciel et c’est un point
une roue d’or un œil au sommet du Blanc
mais qui lune ou roc fait jaillir l’aura blanche