TRANSBAIKALIE
Les rendez-vous manques d’amoureux au creux
d’une carrière de porphyre, – la gehenne et la gigue
demente des bateaux en feu, par une nuit de brume,
sur la mer du Nord – les geantes broussailles de
ronces et les hautes couronnes de cimetière d’une
usine bombardee – ne pourraient donner qu’une
faible idee de ce vide paillete de brûlures, de ce vau-
l’eau et de cette derive d’epaves comme les hautes eaux
de l’Amazone où mon esprit n’avait cesse de flotter
après le depart, au milieu d’enigmatiques monosyl-
labes, de celle que je ne savais plus nommer que par
des noms de glaciers inaccessibles ou de quelques-
unes de ces splendides rivières mongoles aux roseaux
chanteurs, aux tigres blancs et odorants, à la tendresse
d’oasis inutiles au milieu des cailloutis brûles des
steppes, ces rivières qui defilent si doucement devant le
chant d’un oiseau perdu à la cime d’un roseau, comme
pose après un retrait du deluge sur un paysage balaye
des dernières touches de l’homme : Nonni, Keroulèn,
Selenga. Nonni, c’est le nom que je lui donne dans ses
consolations douces, ses grandes echappees de ten-
dresse comme sous des voiles de couvent, c’est la dou-
ceur de caillou de ses mains sèches, sa petite sueur
d’enfant, legère comme une rosee, après l’etreinte
matinale, c’est la petite sœur des nuits innocentes
comme des lis, la petite fille des jeux sages, des oreillers
blancs comme un matin frais de septembre, – Kerou-
lèn ce sont les orages rouges de ses muscles vaincus
dans la fièvre, c’est sa bouche tordue de cette eclatante
torsion sculpturale des poutrelles de fer après l’incen-
die, les grandes vagues vertes où flottent ses jambes
houleuses entre les muscles frais de la mer quand je
sombre avec elle comme une planche à travers des
strates translucides et ce grand bruit de cloches secouees
qui nous accompagne sur la couche des profondeurs
– Selenga, c’est quand flotte sa robe comme un vol de
mouettes ensoleille au milieu des rues vides du matin,
c’est dans de grands voiles battants, ocelles de ses yeux
comme une queue d’oiseau à traîne, ce sont ses yeux
liquides qui nagent autour d’elle comme une danse
d’etoiles – c’est quand elle descend dans mes rêves
par les cheminees calmes de decembre, s’assied près de
mon lit et prend timidement ma main entre ses petits
doigts pour le difficile passage à travers les paysages
solennels de la nuit, et ses yeux transparents à toutes les
comètes ouverts au-dessus de mes yeux jusqu’au matin.