Українська та зарубіжна поезія

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LANGUE MATERNELLE (Strophe)

Plus de quarante ans ont passe : deux jours avant
Noël, au dos d’une carte postale representant la cathe-
drale de Metz il ecrivait :
Tu sais mon Vieux Robert quand on est au regiment l’on
change de caractère
et tout en bas :
Je ne vois plus rien à vous dire car la soupe sonne.
C’est une carte postale ramassee à Laon dans la rue un
jour d’hiver le vent
la rejetait au vent plus qu’anonyme sans adresse
et l’ecriture ayant bien resiste violette sur fond vert
pomme
je demande à mon tour en effet qui parle où est l’au-
teur
à quoi ça rime d’ecrire encore au chaud près des livres
cousus
dans la toile ou du cuir pour qu’au long de rails d’or
inegaux brille l’adoration perpetuelle ecrire
pour se perdre à nouveau dans l’indistinction des
colonnes qui assiègent le Sacre Texte
quand parfois oh là là tous ces dos de costauds escamo-
tes bloques dans leurs petites stalles
et qui gardent pour de bon la loi gravee sur les
epaules : Tu porteras ton nom? Gloire. Misère. Je est
un autre? Allons, allons, la vieille ruse. Quand Je ne
peut plus se souffrir, hop il tente ce detour avec astuce
ou rage vers un zenith obscur où clame Personne. Mais
qui s’arrache? Ma peau à moi reste collee et brûle.
Quel detour complique, mon Vieux Robert, pour obte-
nir l’oubli, un fragment delite du cœur dans la pous-
sière où vont les sabots des glaneurs d’apocryphes,
deux ou trois grains de poudre au fond du crâne en
mal de Pentecôte! En attendant, glossolalies, fumees,
et ces braises comme à l’entracte qui s’eloignent à tra-
vers la panne eternelle, chacun son etincelle entre les
doigts, eclairant le bout de la ligne, heurtant la courbe
du miroir. Tu porteras ton nom. Lui qui t’enferme. Tu
ne peux pas deposer ce poids, ni franchir ce cercle
sinon d’une fine antenne dejà brûlee qui tâte le seuil
en cendres de l’incomprehensible. Detestable peut-
être, ton nom est prononce derrière toi par la grande
mâchoire decrochee. Il y a eu crime. Argos est frappee
de stupeur. Redoute desormais l’annonce de toute vic-
toire. Langue tranchee, yeux creves, oreilles mortes,
c’est la veuve somptueuse et volage qui s’avance accro-
chee aux basques sanglantes de ses enfants, et qui s’ac-
croupit de nouveau tandis qu’ils font le guet à l’ecart
mais menaçant : Mère, il n’y a rien à faire, maintenant
il va falloir que tu y passes ; et balançant leurs membres
meurtriers dans le vide, criant : tu peux bien toujours
te finir sur la tombe d’Agamemnon, poète, – plus de
semence, plus de moisson, nous voici maîtres de la mai-
son sans fondateur où divague cette malheureuse.
Ainsi Mère on vous fait grand tort, on vous traite mal.
Certes la vie est difficile. Le dimanche les gens des
quartiers peripheriques descendent vers le centre, mais
d’un pas alourdi comme s’ils montaient. Ils ont mis le
costume, la cravate, la robe qui fait un bruit sec. Les
gens passent devant les rideaux baisses des boudques,
devant les magasins qui n’ont pas de volets et paraissent
encore plus tristes, encombres jusqu’au fond dans
l’ombre où suffoquent des chaises. Les gens regardent :
on a vu des chaises. C’est vrai. Un côte de la rue est
jaune, l’autre côte violet. Le violet gagne. Les gares
desœuvrees traversent le temps vide qui les traverse.
On a vu la même robe de mariee que la semaine der-
nière. C’etait la même. Le trottoir etait le, les maisons
etaient les, et le ciel etait le, on etait donc tous les
– mêmes, mais juste un peu plus expulses. La vie est
difficile. On a beau parler et parler, descendre encore
une bouteille, autant dire qu’on n’a rien dit, qu’il ne
s’est rien passe. Si Renee vient à Andresy, dis-lui qu’elle
m’achète de la sparterie comme on a vu à la devanture
de la rue de Rome. Je la lui rembourserai. Pas la rue
de Rome. La sparterie. L’asparte quoi? Sur le pont de
l’Europe couraient vite comme des tapirs de longs
nuages qui avaient honte de se defaire, et les paroles
aussi c’est vapeur et fumee.
Mère, Mère, où etiez-vous dimanche? – Je suis res-
tee à la maison, j’ai prepare la soupe, ils n’y ont qu’à
peine touche, affales sans un mot devant le poste jus-
qu’à minuit, roules dans la voix caverneuse qui
contrôle chaque brique du galandage et le beton. Sans
un mot et moi je ne suis plus que le ciment de leurs
solitudes. Je devrais crier, me defendre. Mais où trou-
ver la force? Je ne sais plus. J’en ai fait trop. Et je vois
toujours ces pedts qui s’endormaient ravis par la parole
mysterieuse : des grands malins ou des brutes mainte-
nant qui ricanent. Il faut ceder la place, abandonner
tout cet ouvrage qui ne servira plus. Quelquefois je
crois bien que je commence à m’en aller, presque sans
m’en rendre compte, comme on s’assoupit malgre soi
au plein d’une telle fadgue. Et puis je me ressaisis.
Machinalement je range un peu, je ramasse la pelote et
les aiguilles, je sors les cartes postales, je rapproche la
lampe. Si d’autres survenaient, qui doivent tourner
dans la nuit, ne sachant où frapper, et gardant par-
tout enfonce dans la memoire l’angle idiot de la rue
d’Amsterdam et de la rue de Londres, à se cogner la
tête pour qu’elle eclate et comprendre c’que ça veut
dire? Et il n’y a que moi qui comprenne, allez, qui
apaise et qui reunisse, même si je m’eloigne, même s’ils
ne font que passer eux aussi, appeles sans repit, qu’est-
ce qui les appelle, du fond d’un pays où peut-être je les
precède, où ils me rejoignent, ensemble et separes,
mais toute la separadon murmure comme une prairie
vibrant d’abeilles. Alors de nouveau je me sens jeune et
belle. J’entre dans les bras de mes fils. Ils m’appellent
leur pedte fille, ils me
– Mère, voulez-vous bien vous
taire? Ça ne regarde personne ces histoires de famille.
Restons entre nous je vous prie. Vous pouvez eteindre la
lampe car la maison s’eclaire. Y passe un rayon comme
un homme à jamais attentif qui se penche, et les etoiles
delicates avancent de leurs pas celestes, sans rien
deranger, sans un bruit, de sorte qu’on distingue tout
Bruxelles au fond d’un verre d’eau glacee, et l’ombre
qui s’y promène encore à l’imparfait definitif repète Je
marchais, Je marchais au milieu de choses mal unies,
tandis qu’au loin le cri de cuivre et d’acajou des vieux
rapides etire son glissement nocturne à travers l’Eu-
rope illuminee et que se lèvent d’autres souffles,
un vent du sud avec de fortes ailes, et soudain (oh je
me rejouis) dans le paysage en douceur deplie comme
une phrase de Montaigne, soudain la selle Brooks aux
exquis craquements par des senders vers la Loire invi-
sible, soudain le vent de Zeus dans un tourbillon plein
de paille et de poussières – ah Mère je me rejouis,
il est dejà trop tard pour rallumer la lampe
je me rejouis
le jour apparaît sur les toits comme un veilleur qui
tremble à la fin de sa garde
je me rejouis
restons ensemble ici
permettez près d’eux que je reste
dans l’acre et delectable odeur de l’encre et du tabac
qui leur rappelle quelque chose
qui les rejouit
et qu’insensiblement je fonde comme la touche d’ombre
le defaut dans l’eclat de la mosaïque.
Mais plus de quarante ans ont passe. Ma vie et la neige,
fondues. Les cloches de Noël ballant creuses dejà dans
l’aubepine ; dessous, le gris rêvant qu’il est le bleu, le
rose, l’ocre. Dejà le miel qui se fige contre la lèvre et
s’affadit, la boue au fond de l’encre et, de gauche à
droite sans fin, la lettre egaree des nuages signee par
une pie. Je regarde, j’ecoute. Bible ouverte, muette,
bien labouree. Douze ou treize corbeaux pour l’exe-
gèse. Pieds et cœur dans la betterave. Au hasard le
vieux jour capucin, rôdeur entre les houx, prophetise
un pas sur les bles et l’empreinte eclatante du colza par
les collines. Des voix, des lambeaux dechires s’arra-
chent de la hampe qui resiste. Vite emporte l’appel
même des freux – tentes de feutre à bas, chevaux en
rond, feux disperses, rezzou sur le vallon, detonation
de l’ouest au detour du carre d’epines. Assez. Pas un
mot n’a change l’inclinaison du sapin choisi pour la
foudre, ni retenu l’invisible foulee : elle deserte en hâte
les creux, heurte de proche en proche les bornes ren-
versees de l’oubli, et l’ornière s’enfonce, loin, loin du
tombereau dont la roue est rompue sous un hangar
qu’assomme l’espace à grands coups contre la même
poutre qui cède. J’ai cette ornière dans les os, ce tom-
bereau en travers du dos, sa roue en travers de la gorge,
et le poids du hangar je peux le porter, je le soulève,
je crie sur la toiture, je crie : assez! – et le temps
infaillible se carre aux angles avec ses poings de tem-
pête dans les oreilles, avec son regard sans pupille aux
bords geles et qui frissonne comme le poil d’une taupe,
puis recueille à nouveau la tasse de porcelaine, le
poteau à musique, le fil tire droit sur la fumee et la soli-
tude à toute vitesse. J’ai franchi les haies, les barrières.
A même le sol violent du plateau je me suis couche, j’ai
serre la grosse boule taciturne entre mes bras comme
une tête pour l’entendre, pour qu’elle ecoute, et plus
bas quand le bord se casse, après les pentes suaves où
broutent en paix les nuages près des taureaux, j’ai pro-
fane le bois aux sources – trois, neuf, douze goulots
d’argile roucoulant au ras de la mousse, et les poings
enterres je tremblais sous la surveillance etroite entre
les coudriers et les bouleaux, mon souffle et mes mots
confondus au halètement de l’eau, mon desir de savoir
au ciel constelle d’agonies.
Plus de quarante ans ont passe. Tour à tour ces petites
maisons où j’aurais voulu m’arrêter. J’avais tant à vous
dire. Dans les jardins l’herbe etait haute, et fraîche, si
haute qu’elle bloquait la porte, et toujours appeler de
loin, personne à la fenêtre, insister et personne, laisser
des lettres, mon cher enfant, mon grand amour, ma
douce mort, mon bel automne, ecoutez-moi, n’ayez pas
peur, je dois, je dois continuer, depasser le plateau, les
sources, quitter l’enfance, tuer l’amour, entrer dans le
verger desherbe de la mort qui chante maintenant trop
fort pour que je la comprenne, la soupe sonne, bientôt
la corne du chasseur, la grande tête de vache, le trou qui
pue, est-ce possible (yes sir), est-ce bien moi (yes sir), peut-
être un ou deux morceaux de mon cœur de ma rate de
ma trompe d’eustache en arrière sont restes, mais ici
où je suis de tous côtes ça cloue on demenage, même le
peu que tu pensais avoir encore te sera ôte, le gris, la
solitude, le pire ; les lettres sont restees dans la boîte et
si on les a lues pas de reponse, alors, etait-ce moi qui
repondais à tort et à travers croyant seduire un arbre
ou une Dame? mais qui m’avait parle, vers qui fallait-il
revenir pour se perdre quand même, dans quel giron
de vent parmi ces conversions d’escadrons à fanions
d’azur et d’oiseaux qui ressuscitent, encore un coup
chercher refuge et s’effacer?

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LANGUE MATERNELLE (Strophe) - JACQUES ReDA