EAUX TROUBLES
À ma mère
Je te vois comme un hiver, comme du givre; transparente, brûlante, transpercee de lumières; glacee, glaçante, cassable. Tout cela à la fois. Je te vois comme une source dont on ne soupçonne ni l’ampleur ni la violence. Aujourd’hui, mes mains plongeant dans ton être, dans ta matière, ont froid. Puis mes yeux retournent vers la fenêtre où, de nouveau, la lumière a change de couleur. Alors, au cœur même de ta pâleur, je me souviens de tes ors.
Je te vois, non comme une brûlure, mais comme le souvenir d’une brûlure. Les etincelles mouvantes qui s’animent sous les paupières fermees lorsque l’on a trop longtemps regarde la lumière. Le souffle aspire, interrompu, lorsqu’il se glisse dans la gorge quelque chose de trop chaud ou de trop froid.
Je te vois comme une femme. Si entière qu’elle effraie, si rigide qu’elle heurte, si belle qu’elle etourdit. Si blessee qu’elle meurtrit.
En ce moment precis, la tranquillite est telle – celle de l’air, celle de la lumière declinante, celle des arbres, celle de la maison – que j’ai l’impression d’un chemin ouvert vers toi. Une allee d’ombres bleues sous des arbres aux doigts
entrelaces. Un trou creuse dans l’ici et le maintenant, qui me permet, non de t’entendre, mais de te parler.
Mais qui ouvre donc cette porte dans le silence pour mettre ses pieds dans le trace des ombres? C’est si beau, si bon. Un temps hors du temps, où on est à soi et, par là même, aux autres.
Tendre l’oreille pour tenter de saisir tes echos ; ton souffle. Cela faisait si longtemps. L’air est fin comme le dos de la main d’une très vieille femme, au parfum d’epices et de moisissure. (…/…)
Maison de Wallonie