Midi
L’œuf du clocher, l’horloge, est doucement epris
de l’immobile ete, le temps le couve et dort.
Dejà il n’est plus rien qui soit d’ici. Dejà
le grondement où s’annulait le monde s’est tu.
Le grand jardin devoue aux souffles s’est abîme,
il m’enlève.
Je m’etends avec lui jusqu’aux confins du monde.
Je m’enfonce dans ses creux, je respire par ses herbes.
Je me suis trouve, il me semble, dans ses sources.
Entre par les flaques, dans ses eaux dormantes
une fois je me suis reveille.
Ou si je l’avais cru? Mais là dans la prairie,
de l’autre côte si proche, dans le bosquet de noisetiers.
C’etait là… Ou dans cette chambre sombre à cette heure,
sous les solives… L’horloge veille. Elle etait doree…
Et je fus hors du temps.
…Je suis tôt revenu. Je ressasse ma peine,
je poursuis ma protestation contre le temps.
Dans l’infirmite perpetuelle de ma vie changeante,
dans mon histoire,
j’ai voulu enfreindre les limites, retrouver
l’afflux de l’energie sans voix, le chant absolu.
J’ai tâtonne sans relâche, veille, gâche. J’ai vieilli.
Je bute encore sur moi. Je me souviens. Je m’eloigne.
Je suis devenu plus fort et je suis plus opaque,
dans un monde qui ne repond pas.
Nous vivons mal à l’aise ici, nous le savons.
Notre ambition nous a fourbus, notre honneur.
En vain se sont accrus l’impatience et le pouvoir :
nous ne creons plus de dieux, nous sommes delaisses.
La Mère folle est partout avec nous dans la danse
et nous n’exultons pas.
Pour avoir laisse perdre la bonte tenebreuse
des objets fraternels, nos horizons se sont fermes,
nous sommes bien plus pauvres.
En vain des cris nouveaux scintillent dans nos rues,
klaxons et neons, sifflements des autos comme des aras.
Sur les immeubles de rapport de gras balcons s’etalent,
et tout est geste vantard. Les devantures
du petit commerce sont infatuees de marbre.
Le beton sterilise recouvre uniformement
mille corps trepignant.
Qui a deracine les tendres cheminees, disperse les rêves
qui s’ecaillaient? L’homme d’aujourd’hui ne respire
plus
par les pierres de ses maisons. Il n’y a plus de porte
pour le conduire à un jardin cache.
Luxe vide, solitude fardee. Sous les mots,
du matin au soir les cœurs tremblent.
La nature cependant a conserve la noblesse ancienne.
Toujours les oiseaux jouent
dans l’espace entre les hameaux.
Les rivières passent. La forêt sur la hauteur.
Dans l’azur au-dessus de la montee, le soleil
ne se detourne pas du vallon perdu.
Les jeunes bêtes aux pattes grêles dans l’herbe grasse,
les lapins mal rassures parmi les essarts,
le chemin après les maisons, le seneçon et l’oseille,
rien n’a bouge : les animaux courent par les terres
ou regardent la même aube se lever sur les vergers.
O arbres vieillards, donateurs modestes, solennels des fruits!
O troupeau enfantin des arbres, petits fronts taurins
empanaches de tiges blanches, par le grand vent resistant,
assaillis, ô frères tutelaires!
Nous vivons separes sous des drapeaux de paille,
mannequins sur des lits-cages, sur une place vague
où l’infâme misère au soir a resplendi.
Leurre et detresse. Je n’en sors pas. Je porte une corde
gelee.
Orphelin parmi les autres dans la foule deserte,
je tâtonne à la recherche d’une plenitude,
d’une action qui m’y porterait.
S’avance à pas lourds l’avenir aux fanaux troubles.
– Use prononce dans trop de cruaute.
– Em’a trompe dejà. J’en distingue mal le visage.
– Je me force à l’espoir. Je suis seul. Je n’y vois pas.
Il me faudra rêver… Mais je touche la terre.
D’une presence obscure, des eclats demeures
apparaissent encore pour peupler mon voyage,
insufflent la legende
parmi la parade inutile de mes pas.
J’en trouverai assez pour que j’ose poursuivre.
Je regarde : je vois les murs ce soir
roses comme les pommiers. J’avance… J’imagine.
J’imagine ou je vois. Et voici la merveille,
sur la route qui s’approche du village,
une eglise vegetale sur le pave du roi.
Depuis toujours dejà
Un charron arrange des jougs bleus. Aux boutiques
du bourrelier et du menuisier me transporte
la douceur des objets d’autrefois bien aimes.
Vieux pays qui dejà n’est plus assez vivant
pour m’interdire de le rêver si tendre.
Dejà s’eteignent les derniers fours à pain,
s’eloignent les dernières fumees d’herbes.
On enlève de la haie la roue abandonnee.
Les signes changent. Se meurt la patrie desirable.
Vieux pays qui nous offrait dans tous ses jardins
la dedicace d’un parfum de reseda.