Українська та зарубіжна поезія

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TESTAMENT

Pour Alain Bosquet

À l’enfant que je n’ai pas eu
mais que d’un homme je reçus
septante fois sept fois et davantage, à l’enfant sage
dont je formai le souffle et le visage
sept fois septante fois, dans un ventre pareil
au mien, par des nuits rouges de soleil,
par des jours cristallins d’aurore boreale,
à l’enfant dont je porte en moi les initiales
secrètes, ainsi que ton nom, Yahve,
enfant conçu, toujours inacheve,
qu’on me fait, que je fais, à chaque fois que j’aime,
qui se defait en moi pour donner un poème,
à l’enfant qui ne viendra pas
clore mes yeux, choisir l’ultime drap,
marcher derrière mon poids d’os, de cendres,
me regarder dans la fosse descendre,
à cet enfant je lègue devant Dieu, devant
les hommes et mon chien, devant le jour vivant
(qui n’est que parce que je suis et qui mourra
comme je meurs) je lègue, pour autant que se pourra,
pour autant qu’il en fasse usage en lieu et place
de moi, ses père et mère en un seul être pris,
je lègue tous mes biens de chair, d’esprit,
de temps toujours compte et d’illusoire espace :
le coin de ciel que j’ai scrute en vain,
l’arpent de terre où j’usai mes semelles,
les quatre murs entre quoi je me Uns,
les six cloisons qui leur seront jumelles;
l’argent qui m’est entre les doigts file
– pour le plaisir que j’eus à le repandre -,
le faux savoir qu’on me crut refiler
– pour le bonheur d’aussitôt desapprendre – ;
les jours passes que je n’ai pas vecus,
les jours vecus près desquels suis passee,
le temps mortel à quoi j’ai survecu,
l’heure eternelle et pourtant effacee ;
l’amour jete dont j’ignorais le prix,
l’amour donne à qui ne sut le rendre,
l’amour offert qu’aussitôt je repris,
l’amour perdu qu’on voit dehors attendre.
A l’enfant que je n’ai pas eu,
que pourtant j’ai, de ma semence
forme, dedans ma chair conçu,
dont chaque etreinte parfait l’existence,
à cet enfant je lègue pour le mieux mais surtout pour
le pire, ce que m’a prête le jour :
le moi dont à credit je fais usage
à des taux qui depassent mes moyens,
dont je n’ai pu choisir ni le visage,
ni le sexe (il faut prendre ce qui vient) :
un cerveau creux dans une tête pleine,
un corps trop mou sur des os trop puissants,
un sang trop vif pour une courte haleine,
un cœur trop doux pour ce furieux sang,
des pieds qui n’ont souleve que poussière,
des bras surpris d’avoir etreint le vent,
des genoux pris au piège des prières,
des mains restant vides comme devant;
des yeux fermes sur un côte des choses,
– cette moitie qui fait à tous defaut -,
des yeux ouverts sous leurs paupières closes
et dans le noir voyant plus qu’il n’en faut.
A l’enfant que je n’ai pas eu
je lègue enfin, pour qu’il en tienne
bien compte, pour qu’il s’en souvienne
par contumace, lorsque sera decousu
l’ourlet de mon passage sur l’etoffe ancienne :
les quinze choses que jamais je n’ai pu faire :
courber le front devant plus grand que moi,
marcher sur plus petit, montrer du doigt,
crier avec la foule, ou bien me taire,
reconnaître parmi les Blancs le Noir,
choisir dix justes, nommer un coupable,
trouver telle attitude convenable,
lire un autre que moi dans les miroirs,
conjuguer l’amour à plusieurs personnes,
resister à la tentation, blesser exprès,
rester dans l’indecis, dire Cambronne
au lieu de merde, qui est plus français.

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TESTAMENT - LILIANE WOUTERS