DIX-SEPTIÈME POÈME (extrait)
Le ciel sur les hauteurs a l’eclat d’une rose qu’on
cueille.
Le vent siffle, murmure. Une plume d’oiseau tombe
de feuille en feuille.
Et, sans un mot, dès le matin, je me lève et j’adresse
mes pas
Vers un jardin que je connais, que le soleil n’ignore
pas!
L’herbe est moins noire. C’est le jour. C’est l’ultime
gelee.
J’offre ma bouche vide à la nuit qui fut vaine et salee!
Le vent m’incite à tout sendr comme un triomphe
ou comme un don,
A me confondre avec le jour, puisque le jour est bon,
Puisquej’ai decouvert, poste sur le seuil d’une grange,
Un grand arbre, qui me domine, qui sous sa puis-
sance me range!
La mer au loin s’emporte et les rocs braveront son
courroux.
L’acre brume des pres voile très doucement le ciel
teinte de roux.
L’air se rechauffe quand je souffle! Et le vent perpetue,
Il fait sonner, sur les chemins, une parole que j’ai tue.
La maree envahit les champs par lesquels j’allais et
venais,
Entremêle des bouts de corde ou des lambeaux de
harnais,
Courbe avec majeste l’herbe qui brillera dans l’aube
printanière!
Et tandis que le jour apparaît au milieu d’une ornière,
L’on peut entendre, qui recommence et roule à
l’occident,
Le sombre orage que j’augurais en contemplant le
ciel ardent!
Le siège des dieux les plus hauts ressemble au pays
que je scrute.
Il n’est que de songer pour être transporte sur une
côte abrupte.
Des oiseaux bougent près des maisons, des buissons,
des recifs.
J’appelle la tempête et m’enfuis sous les chênes massifs.
Que le soleil soit offusque par quelque nuage qui passe
Ou que des profondeurs on le hisse à la fin comme
une nasse,
Je surprends sur la mousse innocente, où j’aime à me
coucher,
Des petales que je defroisse et des fleurs de pêcher.
Le desir me dent en eveil… Je vois s’animer les
feuillages.
L’odeur qui monte de la mer entoure les villages,
Se repand au-dessus de l’abîme, au-dessus des
roseaux!
La brise rafraîchit, rafraîchit l’apparence eternelle
des eaux.
Sous mon regard le seul jardin se remplit d’une
flamme subite.
Le souvenir d’un sourire accroît la force qui m’habite.
Au nom des dieux, des dieux obscurs, des dieux qui
regnent sur la cour,
Je me recueille pour accueillir intimement le jour!
Des armes gisent dans les taillis, dans la broussaille.
Un cri retentit sur les toits, dont toute la terre tressaille.
Tel chemin creux doit m’inspirer un chant plus rude
et plus nu
Que les cailloux que mon pied heurte à la corne
d’un bois inconnu!
A la corne du même bois, une etoile s’embrase et
vacille…
Dans l’herbe qui me ravit, je ramasse une courte fau-
cille
Et, contournant pour mon plaisir ce qui reste des
murs d’un lavoir,
J’ordonne aux sources comme aux ruisseaux de
s’emouvoir!
Que les eaux sourdent lorsque le ciel, lorsque le
temps se brouille,
Lorsque avec peine je repousse une porte que ronge
la rouille,
Lorsqu’une voix m’enchante et m’entraîne au plus
noir d’un hallier…
Les astres ni la nuit ne sont rien que je puisse oublier.
Le jour s’infiltre pudiquement dans des maisons que
je devine
Et la plainte que j’ecoutais devient une plainte divine.
Le ciel matinal se pommelle. A ma droite, un cheval
gris et blanc
Me masque un moment le soleil qui luisait sur son
flanc!
Je songe encore à la nuit… Je songe au silence
panique
Qui dans la nuit me penetrait des secrets que la nuit
communique!
Autour des rocs la mer circule et je sais que mes
songes sont vrais.