L’ENDORMIE
De touffes de fleurs je puis frôler tes yeux
ou rafraîchir tes tempes avec des feuilles…
Ni les caresses d’or, si elles etaient fleurs de feu,
ni la fraîcheur des neiges, si les feuilles etaient mouillees,
ne pourraient te faire remonter
du sommeil clair comme l’eau où tu te laisses flotter.
O corps jaspe de lumière, l’ombre entoure un tunnel
où le ruisseau s’en va sous les branches inclinees ;
et tout rayon qu’accroche l’herbe est fleur de jonc
fleuri
qui tremble sur toi quand ta nage l’ecarte ;
et si des abeilles te font peur,
ce ne sont qu’eclaboussures qui s’envolent de la fleur.
Et tout courant conquis aussitôt efface,
tu poses sur le coussin que l’eau tisse avec elle-même
ta joue alanguie et tes longs cheveux epandus,
prisonnière sans forces au flot que rien n’epuise,
lasse de n’avoir vu autre chose
que ton constant reflet sur le fond toujours divers.
L’eau qui semble muette dans l’ecoulement du
ruisseau,
l’eau s’entortillant dans la même spirale,
l’eau dans ton oreille, amie, que dit-elle
qui s’agrandit en toi par cercles souverains
et prend ton cœur au tourbillon
en drant après lui tout son long racinage?
C’est le songe d’un songe, il ne te faut pas faiblir
pour ne pas te defaire en racines repandues.
Il faut echapper par ruse aux ruses de l’oubli
pour qu’echappe à l’oubli mon songe de naïade…
Oublie l’eau et ses conseils :
tout miroir est sans fond s’il mire trop le ciel.
Ni souvenir, ni espoir ne doivent caresser ton cœur
avant que l’eau ne devienne un autre cœur qui pleure.
Oublie les pentes des gouffres de la mort,
regarde le soleil, oublie, ce n’est point l’heure encore
où source d’eau et source de feu
se confondront pour finir en même source de nuit.
Sous tant d’eau, lumineux, entenebre,
tu trouveras ton dieu, même s’il se cache en sa grotte,
même si vers l’oubli il s’entête à t’attendre…
Lorsqu’il tournera son profil tu verras ses yeux sombres
fremir comme de faibles lumières
et ses lèvres dans l’eau epandront ton nom.
Lui te verra comme l’archange aux ailes brisees
qui flotte au ciel, là-haut dans l’insondable mare,
les bras en croix, les pieds joints, le cou penche,
et tournant lentement dans le remous comme une
feuille…
Et, au même instant, tu le verras
comme un ressuscite qui te tend les bras.
Tu diras : “Toi qui m’aimes et me persecutes! Toi
qui me chantais très haut ta terrible romance,
pourquoi faut-il, demon, que tu sois si têtu?
Sans cesse en rêvant je fuyais ton amour,
mais toi seul savais alors
que, reflet par les eaux, mon cœur n’etait que d’eau… “
” Plonge au plus profond, te dira-t-il, et confonds
aux poussières d’un lit clair le sable de tes astres
et au trou de l’eau un ciel qui est sans fond.
Ame, monte au plus haut où l’amour t’appelle,
puisque tu ne sais plus, parmi les reflets,
si c’est dans l’eau ou le ciel que, lentement, tu vas
tomber. “
Qu’en filtrera-t-il à travers tes cheveux blonds
jusqu’aux profondeurs secrètes de ton oreille rose?
Tu peux fort bien ne pas l’entendre, et du talon
tu peux frapper l’eau, et te trouver au milieu d’une
rose
qui s’etale sur les dieux
jusqu’à la rive en aplomb du monde, où je suis.