Sur les quais
Face à l’ecluse, Le Valparaiso craque de partout. Titus, le barman, a mis John Lee Hoocker pour calmer le jeu. Il s’active, sert les hommes pris dans de longs monologues entrecoupes de rires, d’eclats, de quintes, de pleurs. Il voit leurs visages à l’envers, deformes par les bonds imprevus de l’alcool vibrant à cent à l’heure dans leurs veines. Ne s’amuse pas, capte leurs mimiques, craint les bisbilles à venir, sait que tout est ecrit dans les reflets mordores du zinc sur lequel il passe une eponge mouillee, glissant de la moustache blonde de Bob, le croque-mort, aux lunettes noires de l’aveugle sans oublier de moucher un morveux et d’humecter le foulard (cachant le trou à la gorge) d’un qui devra retourner à l’hosto sitôt la fête terminee.
Accoude au zinc, près des pompes, avale un verre de blanc, s’essuie les lèvres, renoue avec un fait divers reste à l’etroit sous sa langue. Suce et resuce. Detecte un clapot d’espoir dans la fange. Sous les galets, près des couteaux, cela dure. Même ce soir, de fête, tangos, relâche jusque tard sur les quais, la mort, banale, d’un homme (son frère) pris en grippe par un noroît rageur revient en force. Le bateau en miettes a dejà ete recupere dix mille fois dans la rade. Il le confie à nouveau aux soins du bois, de la terre. Dit les vagues, oh putain les vagues, leurs gueules d’ecume, virant du jaune au noir sous la lune, balançant sans cesse des tas de planches contre la digue…
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