Pour une poignee de terre
Je voudrais me voir passer à bicyclette
je voudrais être un rêveur qui rêve de moi
je voudrais m’aborder en disant bonjour Ludovic
je voudrais m’entendre chanter de loin
je voudrais me suivre de dos quand je me promène
je voudrais me voir d’en haut tout petit sur la terre
je voudrais me voir dormir toute une nuit
je voudrais regarder mon cœur battre
je voudrais être la femme qui jouit par moi
je voudrais avoir assiste à ma naissance
je voudrais me voir mourir pour me dire adieu
Vu les fontaines de fraîcheur dans le moindre feuillage
vu ton regard et la clarte qu’il ouvre en moi
vu ce calme dans l’air qu’on respire une ou deux fois par an
vu les fleuves qui nous traversent avec le froid de leur lumière
vu Ben Webster de pleine ombre et Satchmo tout à l’or du
soleil
vu la fillette qui chantonne en s’eloignant sur la route
vu la surprise aveuglante de jouir pour la première fois
vu tes yeux fermes longuement lorsque tu m’embrasses
vu la derive des nuages à l’interieur de moi
vu les passantes et leur swing et leur houle ah les passantes
vu les pierres à sel dans le pre et vu Fausto Coppi
vu qu’on ne pèse pas l’instant au nombre de ses morts
vu la robe des Salers et la puissance du chèvrefeuille
vu l’infini de l’herbe
vu le chagrin delicieux promis par ton sourire
vu la mer gagnant sur nous depuis la première rencontre
vu la patience du marcheur dans la brume et les gris
vu la partie de foot improvisee sur la prairie
vu le goût de ton mouille qui s’impose à ma bouche
vu les flonflons du bal qui vous dechirent lentement
vu la rumeur en forêt
ah j’oubliais vu les chèvres et leur ecriture à surprises et
vu l’esperance chevillee au corps de la parole
bon d’accord allez je reste
Gallimard