KEBLOUT ET NEDJMA
Nedjma chaque automne reparue
Non sans m’avoir arrache
Mes larmes et mon Khandjar
Nedjma chaque automne disparue.
Et moi, pâle et terrasse,
De la douce ennemie
A jamais separe;
Les silences de mes pères poètes
Et de ma mère folle
Les sevères regards ;
Les pleurs de mes aïeules amazones
Ont enfoui dans ma poitrine
Un cœur de paysan sans terre
Ou de fauve mal abattu.
Bergères taciturnes
A vos chevilles desormais je veille
Avec les doux serpents de Sfahli : mon chant est
venu!
Bergères taciturnes,
Dites qui vous a attristees
Dites qui vous a poursuivies
Qui me separe de Nedjma?
Dites
Qui livra Alger aux bellâtres
Qui exposa le front des cireurs
Aux gangsters effemines de Chicago
Qui transforma en femmes de menage
Les descendantes de la Kahena?
Et vous natifs d’Alger dont le sang
Craint toujours de se mêler au nôtre
Vous qui n’avez de l’Europe que la honte
De ses oppresseurs
Vous hordes petites bourgeoises
Vous courtisanes racistes
Gouverneurs affairistes
Et vous demagogues en prières
Sous le buste de Rita Hayworth
Qui ne retenez d’Omar Bradley
Que le prenom – et le subdl
Parfum du dollar –
Ne croyez pas avoir etouffe la Casbah
Ne croyez pas bâdr sur nos depouilles votre Nouveau
Monde
Nous etions deux à sangloter
Sous la pluie d’automne
Je ne pouvais fuir
Tu ne pouvais me suivre
Et quand je parvins aux côtes de France
Je te crus enfin oubliee
Je me dis elle ne remue plus
C’est qu’elle m’a send
Vagabond
Ennemi
Sauvage et de prunelle andalouse
Ne sachant quel epoux fuir
Et quel amant egarer
De langue et de silence
Sœur de quelque vipère
Tombee dans mon sommeil
Et mon dard à sa gorge
M’emplit d’ivresse au sordr de la prison
J’apportais l’ardeur des Setifiens
Et de Guelma m’attendait
La fdle solitaire de Keblout
Je me croyais sans sœur ni vengeance
Nedjma ton baiser fit le tour de mon sang
Comme une balle au front eveille le guerrier
Mon premier amour fut ma première chevauchee
(Nedjma nous eûmes le même ancêtre)
Keblout defigure franchit sans se retourner
Le jardin des vierges et l’une lui jeta au front
Un coquelicot
Keblout traversa la mer Rouge
Et fuma le narguile du Soudan
Keblout revint à lui ; il s’agita dans sa poitrine
Une lame brisee entre le cœur et la garde ;
Avec le mal du pays
Il leva les yeux vers une colombe :
“Je ne suis pas natif de ces contrees
Comme toi colombe, je voudrais revenir
A la main qui m’a lâche! “
Keblout marchait les yeux fermes
Il sendt les bourreaux en riant s’eloigner
“Où est ma potence, que je jette
Un dernier regard sur l’avenir?
– Les colombes blessees sont insaisissables “.
Keblout suivit un mendiant rêveur
Ils s’endormirent la main dans la main
Rue de la Lyre
Et l’aveugle lui montra le chemin
A Moscou Keblout s’eveilla
Nedjma vivait
Sur un tracteur
De kolkhozienne
Keblout se perdit dans un parc
Et comme un Coreen
Reprit sa route dans les ruines
J’emporte dans ma course
Un astre : Nedjma m’attend
Aimez si vous en avez
Le courage!
Voyez la lune au baiser glace
Nedjma voyage
Sur ce coursier celeste
Et Keblout ronge son frein
Rejoindra-t-il Nedjma ou l’astre?
Le paysan attend
Keblout s’etend sur une tombe
Non pour mourir mais pour aiguiser
Son couteau