LE CONDAMNÉ À MORT
À Maurice Pilorge
assassin de vingt ans.
LE VENT qui roule un cœur sur le pave des cours,
Un ange qui sanglote accroche dans un arbre,
La colonne d’azur qu’entortille le marbre
Font ouvrir dans ma nuit des portes de secours.
Un pauvre oiseau qui meurt et le goût de la cendre,
Le souvenir d’un œil endormi sur le mur,
Et ce poing douloureux qui menace l’azur
Font au creux de ma main ton visage descendre.
Ce visage plus dur et plus leger qu’un masque
Est plus lourd à ma main qu’aux doigts du receleur
Le joyau qu’il empoche ; il est noye de pleurs.
Il est sombre et feroce, un bouquet vert le casque.
Ton visage est sevère : il est d’un pâtre grec.
Il reste fremissant au creux de mes mains closes.
Ta bouche est d’une morte où tes yeux sont des roses,
Et ton nez d’un archange est peut-être le bec.
Le gel etincelant d’une pudeur mechante
Qui poudrait tes cheveux de clairs astres d’acier,
Qui couronnait ton front d’epines du rosier
Quel haut-mal l’a fondu si ton visage chante?
Dis-moi quel malheur fou fait eclater ton œil
D’un desespoir si haut que la douleur farouche,
Affolee, en personne, orne ta ronde bouche
Malgre tes pleurs glaces, d’un sourire de deuil?
Ne chante pas ce soir les ” Costauds de la Lune “.
Gamin d’or sois plutôt princesse d’une tour
Rêvant melancolique à notre pauvre amour;
Ou sois le mousse blond qui veille à la grand’hune.
Il descend vers le soir pour chanter sur le pont
Parmi les matelots à genoux et nu-tête
“L’Ave Maris Stella”. Chaque marin tient prête
Sa verge qui bondit dans sa main de fripon.
Et c’est pour t’emmancher, beau mousse d’aventure,
Qu’ils bandent sous leur froc les matelots muscles.
Mon Amour, mon Amour, voleras-tu les cles
Qui m’ouvriront le ciel où tremble la mâture
D’où tu sèmes, royal, les blancs enchantements,
Qui neigent sur mon page, en ma prison muette :
L’epouvante, les morts dans les fleurs de violette,
La mort avec ses coqs! Ses fantômes d’amants!
Sur ses pieds de velours passe un garde qui rôde.
Repose en mes yeux creux le souvenir de toi.
Il se peut qu’on s’evade en passant par le toit.
On dit que la Guyane est une terre chaude.
Ô la douceur du bagne impossible et lointain!
O le ciel de la Belle, ô la mer et les palmes,
Les matins transparents, les soirs fous, les nuits calmes,
Ô les cheveux tondus et les Peaux-de-Satin.
Rêvons ensemble, Amour, à quelque dur amant
Grand comme l’Univers mais le corps tache d’ombres.
Il nous bouclera nus dans ces auberges sombres,
Entre ses cuisses d’or, sur son ventre fumant,
Un mac eblouissant taille dans un archange
Bandant sur les bouquets d’œillets et de jasmins
Que porteront tremblant tes lumineuses mains
Sur son auguste flanc que ton baiser derange.
Tristesse dans ma bouche! Amertume gonflant
Gonflant mon pauvre cœur! Mes amours parfumees
Adieu vont s’en aller! Adieu couilles aimees!
O sur ma voix coupee adieu chibre insolent!
Gamin, ne chantez pas, posez votre air d’apache!
Soyez la jeune fille au pur cou radieux,
Ou si tu n’as de peur l’enfant melodieux
Mort en moi bien avant que me tranche la hache.
Enfant d’honneur si beau couronne de lilas!
Penche-toi sur mon lit, laisse ma queue qui monte
Frapper ta joue doree. Écoute, il te raconte,
Ton amant l’assassin sa geste en mille eclats.
Il chante qu’il avait ton corps et ton visage,
Ton cœur que n’ouvriront jamais les eperons
D’un cavalier massif. Avoir tes genoux ronds!
Ton cou frais, ta main douce, ô môme avoir ton âge!
Voler voler ton ciel eclabousse de sang
Et faire un seul chef-d’œuvre avec les morts cueillies
Çà et là dans les pres, les haies, morts eblouies
De preparer sa mort, son ciel adolescent…
Les matins solennels, le rhum, la cigarette…
Les ombres du tabac, du bagne et des marins
Visitent ma cellule où me roule et m’etreint
Le spectre d’un tueur à la lourde braguette.