PENSÉES SOUS LES NUAGES
– Je ne crois pas decidement que nous ferons ce
voyage
à travers tous ces ciels qui seraient de plus en plus
clairs,
emportes au defi de toutes les lois de l’ombre.
Je nous vois mal en aigles invisibles, à jamais
tournoyant autour de cimes invisibles elles aussi
par excès de lumière…
(A ramasser les tessons du temps,
on ne fait pas l’eternite. Le dos se voûte seulement
comme aux glaneuses. On ne voit plus
que les labours massifs et les traces de la charrue
à travers notre tombe padente.)
– Il est vrai qu’on aura peu vu le soleil tous ces jours,
esperer sous tant de nuages est moins facile,
le socle des montagnes fume de trop de brouillard…
(Il faut pourtant que nous n’ayons guère de force
pour lâcher prise faute d’un peu de soleil
et ne pouvoir porter sur les epaules, quelques heures,
un fagot de nuages…
Il faut que nous soyons restes bien naïfs
pour nous croire sauves par le bleu du ciel
ou châties par l’orage et par la nuit.)
– Mais où donc pensiez-vous aller encore, avec ces
pieds uses?
Rien que tourner le coin de la maison, ou franchir,
de nouveau, quelle frontière?
(L’enfant rêve d’aller de l’autre côte des montagnes,
le voyageur le fait parfois, et son haleine là-haut
devient visible, comme on dit que l’âme des morts…
On se demande quelle image il voit passer
dans le miroir des neiges, luire quelle flamme,
et s’il trouve une porte entrouverte derrière.
On imagine que, dans ces lointains, cela se peut :
une bougie brûlant dans un miroir, une main
de femme proche, une embrasure…)
Mais vous ici, tels que je vous retrouve,
vous n’aurez plus la force de boire dans ces flûtes de
cristal,
vous serez sourds aux cloches de ces hautes tours,
aveugles à ces phares qui tournent selon le soleil,
piètres navigateurs pour une aussi etroite passe…
On vous voit mieux dans les crevasses des labours,
suant une sueur de mort, plutôt sombres
qu’emportes vers ces derniers cygnes fiers…
– Je ne crois pas decidement que nous ferons encore
ce voyage,
ni que nous echapperons au merlin sombre
une fois que les ailes du regard ne battront plus.
Des passants. On ne nous reverra pas sur ces routes,
pas plus que nous n’avons revu nos morts
ou seulement leur ombre…
Leur corps est cendre,
cendre leur ombre et leur souvenir; la cendre même,
un vent sans nom et sans visage la disperse
et ce vent même, quoi l’efface?
Neanmoins,
en passant, nous aurons encore entendu
ces cris d’oiseaux sous les nuages
dans le silence d’un midi d’octobre vide,
ces cris epars, à la fois près et comme très loin
(ils sont rares, parce que le froid
s’avance telle une ombre derrière la charrue des pluies),
ils mesurent l’espace…
Et moi qui passe au-dessous d’eux,
il me semble qu’ils ont parle, non pas questionne,
appele,
mais repondu. Sous les nuages bas d’octobre.
Et dejà c’est un autre jour, je suis ailleurs,
dejà ils disent autre chose ou ils se taisent,
je passe, je m’etonne, et je ne peux en dire plus.