Ils sont tous là les aïeux de père et de mère
Ils sont tous là les aïeux de père et de mère
Les surgeons de Jacob les rameaux de Jesse
Les proches parents du Messie l’holocauste sanglant
des nations
Les boucs emissaires qui emportent au desert le peche –
Ceux qui vendirent du drap à tout le canton sous Napo-
leon Trois
Ceux qui ont fait une distribution gratuite de froment
et de haricots secs
Au moment de la disette dans les premiers mois de la
Restauration
Ceux qui furent conscrits en 70 et gardèrent leur bâton
de tambour-major
Cache sous l’ais du grenier dans un ruban de soie
tricolore,
Jusqu’à ceux qui naquirent dans un ghetto de village
mal oublie
Pendant que l’avenir œuvrait pour eux sous la
Terreur –
Au rang de leurs cadets il en manque une trentaine
Qui furent brûles vifs voilà huit ans à peine
Par la main des Gentils
Dans les fours crematoires de Pologne ou d’ailleurs :
Il reste un grand depôt de jouets à Belsen –
Des cendres de l’exil ayez pitie Seigneur
Ils demeurent assembles en permanence le jour sans
fin du Grand Pardon
Convoques dans la tunique rituelle aux lacets de lin
denoues pour l’eternite
La langue chargee de terre et blanchie par le jeûne
Ils tiennent leur reuni on plenière jusqu’à la
consommation des siècles
Engages dans le colloque silencieux
Qui precède au jour du jugement le verdict sans appel
des cornes archangeliques.
En ce jour le Seigneur sonnera de la corne
Teki’ah Teru’ah Teki’ah
Comment reconcilierons-nous les tronçons d’une vie
ecartelee
Entre le passe mort et l’agonie sans terme de l’avenir?
Pour la lune cachee du septième mois la corne
annonciatrice
Sonne trois fois trente et dix fois et c’est toujours
l’unique
Appel qui reveille dans l’abîme le feu de la merci
suprême :
Prier
C’est ecouter
La corne du silence.
Je reviens d’Amerique
Leur rendre visite comme autrefois au debut du
printemps
J’allais vers eux depuis l’Amerique autrement lointaine
de l’enfance.
C’est pour leur signifier qu’entre nous le pacte n’est
point rompu,
Que nous sommes toujours en relations charnelles
En depit des difficultes internationales
Et du prix montant des moyens de transport transatlantiques.
Nous sommes demeures en contact de monde mort à
monde mort
Et nous n’entreprenons rien sans consultations
reciproques
Dans la grande cite souterraine
De la paix qui nous unit depuis l’origine.
Sur la colline
Blanchit le collège aux fenêtres Second Empire
Qu’entoure un rempart de bois d’aulnes et d’acacias ;
Les marronniers en fleur explosent dans la cour carree,
La chèvre brune broute à l’enclos d’aubepines.
Dans le bois aux lièvres où court le vent du matin
charge d’ail sauvage
Un faucheur coupe le foin sur une seule pedte place
humide –
Dans ce sol sablonneux sous le soleil de juin
Le silence bourdonne de guêpes et d’orties.
Du haut de la lucarne retrouvee de l’enfance
Je pêche au filet les vieilles maisonnettes jaunes des voi-
sins avec leurs etables en ruine :
Un cercle de forêts assiège l’horizon –
Plus loin
C’est la plaine marecageuse piquee de bouquets de
trembles et de peupliers,
Puis la Forêt-Noire ;
Le tocsin de l’ete roule dans la montagne,
Sous les sapins s’agite une mer de fougères.
Les clochers des villages emergent des pans de bois
Entre les cheminees lezardees
Des usines en brique rouge à cinq etages du dix-
neuvième siècle
Que couronnent les nids de cigognes deserts.
Il y a des jouets perdus sous l’escalier du toit,
Dont je rêve parfois sur le dos de la nuit.
Quelques lambeaux du vrai papier de tenture flottent
au fond des corridors noirs de vent;
La rampe d’escalier en acajou tendre est encore là,
Dans la maison ouverte, pillee, eventree,
Demantelee par la guerre par l’oubli par l’exil,
Qui garde pour seul vestige
Une baignoire d’enfant trouee de balles, en zinc mange
de lèpre,
Delaissee sous les combles dans l’angle que font le mur
et la cheminee
Aux hanches ecroulees sous le velours inusable de la
poussière.