LA RONDE DE NUIT
Les muses du quai de Bercy
M’avaient conduit jusqu’à Grenelle
Et leurs sœurs de la Grange-aux-Belles
Vers les jardins clos de Passy,
La nuit s’entendait avec elles,
Les muses du quai de Bercy.
J’allais dans Paris, port de songe
Ouvert au pieton noctambule,
Avec des amis de toujours
Embarques vers le crepuscule
Et disparus au point du jour.
J’allais dans Paris port de songe.
Restif, Nerval, Apollinaire,
Leon-Paul Fargue et tous les autres
Qui me montriez le chemin,
Abordez-vous les lendemains
Rayonnant sur les îles claires?
Restif, Nerval, Apollinaire…
D’abord c’est le dimanche au cœur :
Un depart à Paris-Bastille
Vers les Eldorados sur Marne,
La blonde en robe de fraîcheur,
Ses seins fleuris par les jonquilles.
D’abord c’est le dimanche au cœur.
Salut les valseurs du bitume!
Voici les quatorze Juillet,
Tant de filles comme un bouquet
Offert par l’Éte qui s’allume
Et la faim qui nous en prenait.
Salut les valseurs du bitume!
Puis la musique s’attenue
Dans un soupir d’accordeon,
Dejà l’ombre a cerne la rue
Où brille en lettres de neon
La magique enseigne d’un BAL.
Puis la musique s’attenue.
J’entre mais vous n’êtes pas là,
Ce soir non plus, mes Venitiennes,
Vous que mon rêve suscitait
D’un nom evoquant la blondeur
Sans qu’il vous rencontrât jamais.
J’entre, mais vous n’êtes pas là.
Dehors la nuit me parle bas
Et je sens tomber ses petales
Sur tous les bonheurs inconnus
Qui fusent au ciel quand s’exhale
Le delirant plaisir des filles.
Dehors la nuit me parle bas.
Ensemble, à la même seconde
Quel Everest eblouissant
Gagne par tout l’amour du monde!
Mais ceux qui meurent dans l’instant
Où d’autres vont toucher la cime,
Ensemble à la même seconde…
Plus tard – et le jour est en route –
Je me retrouve à la Villette,
Ses grands saigneurs en tabliers
Taches de sang cassent la croûte
Avec quelques garçons laiders.
Plus tard – et le jour est en route.
Seul, les yeux fixes sur son verre,
Un gars taciturne au comptoir :
Il me ressemble comme un frère
Et je connais son desespoir
Aux heures blêmes du regret.
Seul, les yeux fixes sur son verre.
Il revoit les hiers perdus,
Un beau sourire qui s’efface
Dans l’âge d’or des bras tendus
Et, tout à coup, dans une glace
Il ne se reconnaîtrait plus
Il revoit les hiers perdus.
O vous nos amis de toujours
Embarques vers le crepuscule
Et disparus au point du jour,
Quand viendra l’heure à la pendule
Priez pour nous, pour nos amours.
O vous nos amis de toujours 1
L’aube va chasser le silence
Rassemblant ses oiseaux de feutre,
Maintenant la ville apparaît
– Et voici demain qui commence
Entre deux nuits et leurs secrets.
L’aube va chasser le silence.