Українська та зарубіжна поезія

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CALCAIRE

Des fuseaux d’une nettete prodigieuse s’entrecroi-
sent sur l’etendue entière du calcaire graphique. De
toutes nuances, entre chamois et brique. Ils dessinent
de grandes sauterelles polygonales serrees et mêlees,
elytres bruyants et longues pattes egarees, la tête de
l’une accrochee à l’abdomen de l’autre. Les acridiens
enchevêtres projettent comme sur un papier peint leur
grouillement vorace, analogue aux boules d’ivoire japo-
naises qui roulent des rats ou des crabes se devorant
entre eux en une parfaite, spherique et ignoble conti-
nuite. Ici, tout est plat, anguleux et diagonal.
A travers les corps soudes des insectes, les separant
d’un trait appuye, puis soudain les traversant d’outre
en outre, courent des filaments ramifies comme nerfs
ou arterioles rigides. Les plus minces sont metallises,
les autres constitues de cristaux minuscules. Leur
reseau reste mat, tant qu’il ne reflechit pas la lumière.
Mais qu’on dirige la pierre de façon qu’elle capte un
rayon, voici que s’illuminent les ternes filets. Une elec-
tricite chevelue circule parmi les criquets en caque. Un
fouet à multiples lanières les cingle de mèches agiles,
de frissons de mercure furtif. La plaque ruisselle
d’eclairs. En montagne, à la fonte des neiges, les pres
sont ainsi zebres d’eaux vives qui devalent des poches
d’ombres où les neves se sont accumules. C’est un
emoi, une fête de gouttelettes et d’ecume, une course
panique sans but vers le niveau le plus bas qu’un argent
sauvage cherche à atteindre le plus vite, rebondissant
jusqu’à s’extenuer, eponge avec peine par un sol dejà
gorge. Sur la tranche polie du calcaire, les canaux de
feu etendent un peuple de radicelles que ne guette
aucun epuisement prochain. Un geste les assoupit, un
autre les eveille et voici leur fontaine bruire et miroiter,
deverser leur ardente coulee dans les rigoles menagees
pour leur incandescence par la finesse refractaire où
elle se faufile et s’etale.
Au-dessus des sillons lumineux, dans un bref canton
preserve de la pluie des obliques : un disque lointain,
une pastille minuscule que son eclat de plomb ecorche
fait reconnaître comme l’image du triste Saturne.

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CALCAIRE - ROGER CAILLOIS
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